Le foyer de Burnot est un service privé hébergeant 15 enfants sous mandat de l’aide à la jeunesse.
Voici leur présentation lors de la journée d’étude SYPA en mai 2010
« C’est pour ton bien » :
« Où sont passées tes lunettes ? »,
« Mets tes pantoufles »,
« Concentre-toi sur tes devoirs ! »,
« Ne te balance pas sur ta chaise ! »,
« Tu t’es bien savonnée ? »,
« Ne regarde pas la télé si près…»,
« Tu n’as pas fini ta tâche »,…
Ces petites phrases du quotidien, nous devons continuellement les répéter à nos jeunes avec cette impression parfois qu’ils nous prennent pour des idiots voire des robots. Or si nous les disons, c’est bien qu’elles importent à nos yeux.
Nous sommes des habitués des merveilleuses journées SYPA et nous avons donc appris que nous sommes entraînés dans une drôle de tourmente avec cette société qui n’en finit plus de s’interroger au niveau de la perte de ses repères et de ses valeurs.
On a beau utiliser l’humour, s’interroger sur la répétition de l’histoire ou faire des études scientifiques cela reste pas facile tous les jours d’accompagner nos chères têtes blondes ou brunes et crollées…
Beaucoup plus difficile d’invoquer le Bon Dieu ou les dix commandements pour justifier nos actions, très ardu de dire que c’est comme le maître d’école nous l’a appris, d’agiter la peur du gendarme ou de faire confiance aux représentants du peuple….
Et pourtant nous nous devons d’encore et toujours y croire. Et c’est maintenant simplement en tant qu’adulte ou responsable que nous nous devons de continuer à croire et transmettre des valeurs. Nos actions seront guidées par cette position et le « c’est pour ton bien »…..si il est questionné obtiendra pour réponse : « parce que je le sais et que tu dois me faire confiance ».
Parfois aussi cette réponse sera donnée par l’éducateur afin d’éviter une escalade dans les discussions qui risquent d’être sans fin et finalement de nuire à la relation. Cette formule permettra de postposer la discussion vers un moment et un contexte plus propice à la restauration du dialogue.
Mais ce point de vue peut paraître trop subjectif ou dépendant des différents membres qui constituent notre équipe pluridisciplinaire. Il convient donc de rappeler qu’il y a encore des choses immuables et qui sont des grands principes de la psychologie du développement : les rôles de père et mère, l’importance da la communication, les différents stades de développement, et que ceux-ci sont des universels en ce sens qu’ils se retrouvent dans toutes les sociétés. C’est sur eux aussi que nous pouvons nous baser pour agir pour le bien des jeunes qui nous sont confiés.
Nous avons assez de connaissances pour que nous évitions de retourner aux enfants qui n’ont pas le droit à la parole ou à l’inverse aux enfants-roi.
Et si on nous balance maintenant des sex-somniaques pour excuser des abus, si certains hommes politiques nous font honte, si c’est le règne de l’individualisme et de la contestation, nous croyons que la raison finit toujours par l’emporter et que nous devons résister à tous ces errements de notre société.
Mais quand il s’agit d’expliquer à un enfant qu’il ne rentrera pas chez maman ce week-end vu les derniers évènements, ou à un autre, qu’il ne pourra pas passer toutes ses vacances en famille, ou encore que nous préférons être présent quand un autre enfant verra son papa,… Ces phrases là sont difficiles à dire… Elles proviennent bien souvent de décisions prises en équipe après une longue réflexion où notre objectif premier est le bien-être de l’enfant, difficile à comprendre pour ce dernier qui pense que nous le punissons. Et c’est lors d’une crise de larmes, d’un gros chagrin, d’un « je veux maman » étouffé dans des sanglots que nous rappelons à ce même enfant : « C’est pour ton bien » parfois accompagné d’un « Tu comprendras plus tard ».
Parfois nous nous interrogeons sur le devenir à long terme de nos interventions car notre accompagnement a une durée limitée.
Nous ne pouvons pas établir de données statistiques mais c’est souvent pas mal d’années après que nous avons des indications via le message d’un ancien ou d’une ancienne. Le dernier est arrivé par mail et émanait de Caroline avec qui le chemin n’avait pas toujours été facile et qui a nous écrit 18 ans plus tard. Elle dit, après nous avoir qualifiés de géniaux (mais on sait qu’on l’est tous à SYPA) ,elle dit donc que malgré un passage de seulement un an elle a retenu quelques grands principes qu’on lui a fait passer et qu’elle les applique avec succès actuellement à son enfant devenu maintenant un ado.
Allez, avec cela, on est reparti pour 20 ans.
Et pourtant cette notion reste encore difficile à comprendre par nos jeunes. Les adolescents pensent que nous voulons les ennuyer volontairement, les plus jeunes nous font sentir la rage qu’ils éprouvent face à de telles injustices,… C’est à nous de leur rappeler leur histoire, le chemin déjà parcouru avec parfois ses nombreuses embûches, le travail que nous effectuons avec leurs parents, pour qu’ils comprennent un peu mieux les tenants de telles décisions « mais parfois pas ».
Ces décisions agrémentées parfois d’un « c’est pour ton bien » sont aussi souvent l’apanage des mandants. Et pas toujours facile pour nos jeunes et leurs parents de percevoir le côté bénéfique des décisions.
Un autre risque est que le « pour ton bien » des parents soit bien différent de celui des professionnels avec pour conséquence le fait de trouver un enfant perdu, tiraillé entre le discours de ceux qui l’accueillent et le protègent et de ceux avec lesquels il partage le sang.
Dans l’accompagnement des jeunes nous aimons prendre l’image du tuteur.
Un tuteur est une tige de bois que nous accolons à une jeune plante afin qu’elle ne grandisse pas de travers. Ce tuteur se doit d’être solide afin de tenir face à une plante grimpante et parfois envahissante. Il devrait être présent dès le début afin de garantir une base solide à celle-ci. Il permet à la plante de ne pas tomber, d’être soutenue dans son évolution. Cette plante par contre éprouvera parfois des difficultés car le tuteur est dur et droit.
Et s’il n’a pas été là dès le début, il sera bien plus difficile encore pour la plante de se l’approprier et pour le tuteur, de la remettre « sur le droit chemin ». Or, nous savons combien il est ardu de suivre une trajectoire rectiligne… Maintenant, il y aura toujours l’une ou l’autre plante qui cassera, et où même après quelques « recollages » au tuteur,elle ne s’y accrochera plus et cèdera face au poids de sa vie, mais peut-être que sans s’en apercevoir au début , certains bourgeons résisteront à la tempête…
La notion du bien se joue également lors des divers engagements qu’un enfant doit prendre dans sa vie : l’engagement scolaire, l’engagement dans un loisir, l’engagement dans une relation,… Ce sont autant de choses dans lesquelles nous accompagnons l’enfant afin de l’aider à respecter ses engagements et par là même à se respecter lui-même. Quand nous amenons les enfants à comprendre notre vision des choses, que nous les éclairons par rapport aux enjeux qui sont de les voir grandir avec de bons outils en mains ainsi qu’au respect à avoir face à de tels « contrats », nous les sollicitons aussi à regarder l’impact que cela pourrait avoir s’ils se « désengageaient » : Ne pas avoir son diplôme et avoir des difficultés à trouver par la suite un emploi, ne pas savoir s’investir dans des relations durables, ne pas savoir faire des efforts, ne pas persévérer dans une discipline,…
Il y a quelques temps, lors d’un conseil pédagogique des enfants (oui, oui on l’a fait), nous les avons amenés à réfléchir sur cette notion d’engagement en prenant l’exemple des activités auxquelles ils participent durant toute l’année. Nous leur avons proposé de répondre à la question du pourquoi nous leur demandons en début d’année de tenir jusque juin dans la participation au loisir choisi.
A cela, ils ont pu déposer sur la table, les notions d’apprentissage et de perfectionnement, les concepts d’effort et de respect vis-à-vis des autres enfants participants mais aussi de l’animateur, le côté financier,…
Mais malgré ce chouette débat, il est encore courant aujourd’hui de leur rappeler ce qu’ils ont dit ce jour-là.
De même, dans notre quotidien, nous nous assurons de leur bien-être bien avant leur arrivée au foyer afin de vérifier si nous pourrons répondre au mieux à leurs besoins et faire face à leurs difficultés à eux et à leur famille. Notre intérêt de privilégier les fratries et les moins de 12 ans de la région Namur-Dinant n’est évidemment pas anodin dans cette envie de faire au mieux pour l’enfant accueilli chez nous.
En effet, c’est un travail de tous les jours que d’assurer le bien-être et la sécurité de ces enfants, dont nous sommes responsables parfois pour de longues périodes, car c’est notre devoir de les soutenir, de les protéger (et non de les surprotéger), de les accompagner vers une vie meilleure, mais surtout vers une structuration solide de leur être pour qu’ils puissent par après et de manière indépendante, affronter la vie dans ses bons et ses moins bons côtés.
Cela demande beaucoup d’énergie et de répétitions mais cela vaut le coup.
En conclusion si bien sûr on peut penser que toutes ces directives sont un frein à la liberté, toujours nous rappelons que notre liberté s’arrête là où commence celle de l’autre.
Burnot le 21 mai 2010-05-20
Texte présenté en journée SYPA par Valérie Graindorge.